La Créature du désert

29/10/2019

Siloah se cramponnait à son ventre. La douleur, c'était comme un bataillon napoléonien qui vous fusillait les entrailles. Chaque balle s'immisçait entre deux autres, atteignant chaque part de peau encore saine, chaque cellule, arrachant à chaque nerf une supplique électrique.

La douleur, ça vous transperçait de part et d'autre du flanc. Ça vous faisait sortir les yeux des orbites, ça vous extirpait des hurlements gutturaux, ça vous sciait les jambes pour vous traîner au sol.

Cette monstrueuse douleur, qui n'était due qu'à la faim. Et à la soif, la chaleur étouffante et la sécheresse de l'air, évidemment.

Siloah parcourait depuis plusieurs jours le désert, errant de dune en dune, sans apercevoir la moindre trace de vie. Elle s'efforçait malgré son supplice de poursuivre sa marche, gardant espoir qu'un soir, enfin, un feu de campement salutaire daigne lui apparaître. Mais elle ne pouvait que ralentir à chaque pas lent et douloureux. Manque d'énergie. Manque de force. Manque d'espoir. 

Alors qu'elle tournait en rond dans une vallée de sable brûlant, sa vision se voila. Ses oreilles se mirent à bourdonner, ses autres sens l'abandonnèrent, et elle chuta. Un amas de grains de sable se souleva, puis l'ensevelit en retombant.

*

Une chose lourde et gluante la piétina, l'arrachant par la même occasion à son état d'inconscience. Endolorie et embrumée, elle se leva, mue par une énergie nouvelle. Devant elle, un petit bonhomme la fixait de ses yeux globuleux. Vêtu d'un très chic veston assorti à un pantalon de velours, il ressemblait à un reptile humanoïde, tenant du caméléon son visage et de l'alligator ses maigres pattes. 

Derrière cet étrange personnage, une sorte de brique de lait à taille humaine était enlisée dans le sable.

- Carem qhi de mors ? demanda-t-il en déroulant sa langue pour attraper un insecte.

Siloah voulut lui répondre qu'elle ne comprenait rien à son babil, mais ses cordes vocales étaient tellement sèches que seuls quelques grains de sable sortirent de sa bouche. Elle dut réessayer plusieurs fois avant d'enfin pouvoir articuler quelques mots, révélateurs de son état somnolent.

- T'es qui, toi ?
- Ah ! Toi je pense parler Français !
- Heu... Qui...
- Toi t'inquiéter pas : je est... ai mis nourriture dans... bouche toi.
- Ah. Ben... Merci, lâcha la jeune femme, croyant à une hallucination.
- Moi je devez demandez conseil : tu pouvoir dis où le Soleil sont ?
- Le Soleil ? Il fait pas assez chaud ?
- Oui, gros. Le Soleil sont gros. Où sont lui ?
- Et bien...

Elle se leva péniblement en époussetant son pantalon, toisant la petite créature qui ne lui arrivait pas même à la poitrine.

- Mais pourquoi faire, hein ?
- Je devez lui prendre visite.
- Attends... Quoi ?
- Yooooooooou préférer Aaaaaangliiiiiiiish ? s'écria-t-il avec un accent épouvantable.
- Non, surtout pas, s'empressa de répondre la jeune femme, craignant qu'il ne devienne totalement incompréhensible. Mais je ne comprends pas très bien ce que tu veux, là.
- Je vouliez aller jusqu'il Soleil !
- Et pourquoi je t'aiderais, bonhomme ? ricana Siloah en croisant les bras.

La créature se retourna et entra dans son vaisseau - si cette espèce d'emballage XXL était vraiment capable de voler dans l'espace. La jeune femme crut qu'il allait la laisser là, mais il revint avant qu'elle n'ait pu pousser un cri. Les bras chargés de provisions, il souriait.

- Voilà pour toi si toi aidons moi.

Siloah, voyant ces aliments comme une bouée de sauvetage dans cet océan de sable déchaîné, se jeta sur le personnage vert et tenta de lui arracher son chargement. Mais elle avait nettement sous-estimé deux choses : la force de son adversaire et son propre épuisement. En quelques secondes, il la plaqua au sol, et la maintint face contre terre - ou, plus vraisemblablement, contre sable.

Pestant, la jeune femme, qui n'arrivait pas à accepter sa défaite, lui proposa tout de même un marché :

- Écoute-moi bien, l'alien. Si tu me donnes ces provisions et que tu dégages de mon pauvre dos, je te dis où trouver le Soleil, d'accord ?
- D'accord !

Il lâcha Siloah, qui ne tenta pas de second coup d'éclat. Attentive à sa bonne volonté - quelle aubaine, il n'avait même pas tenté de négocier ! - elle lui avoua donc l'emplacement tant convoité.

- Lève la tête, bonhomme. Et regarde le Soleil, tout au Nord.
- Oh...

Ils contemplèrent l'astre pendant de longues minutes. Puis Siloah, sortant de sa rêverie, réclama son dû. La créature verte, sans rechigner, lui confia toutes les provisions qu'il tenait dans ses bras. Éperdue de gratitude, le sauvage jeune femme le prit dans ses bras, lui arrachant quelques larmes dorées.

Enfin, après quelques banalités échangées, l'apparition se mura dans sa brique de lait, qui décolla presque immédiatement en soulevant une tempête de sable - ce qui ne manqua pas d'arracher un juron à Siloah.

Quelques heures plus tard, alors qu'elle déballait la nourriture pour son dîner, elle eut la surprise de découvrir un petit appareil gris qui s'alluma au contact de sa paume. Un GPS ! Après des jours de déambulation dans le désert, elle allait pouvoir rentrer chez elle ! 

Siloah, avant de s'endormir, eut une pensée pour l'adorable alien qui venait de la sauver. Elle se surprit à regarder le Soleil déclinant pour tenter d'apercevoir l'ombre d'une brique de lait géante fonçant droit sur lui - ombre qu'elle crut deviner dans le gigantesque halo embrasé avant qu'il ne disparaisse à l'horizon. Cette journée lui avait prouvé une chose : différent ne signifie pas mauvais !

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